Les Frelons et les Mouches à Miel

A l'œuvre on connaît l'artisan.
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent:
Des frelons les réclamèrent Des abeilles s'opposant,
Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose:
Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi? dans les frelon
Ces enseignes étaient pareilles.
La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.
Le point n'en put être éclairci.
« De grâce, à quoi bon tout ceci?
Dit une abeille fort prudente:
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le juge se hâte:
N'a-t-il point assez léché l'ours ?
Sans tant de contredits, et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous:
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties. »
Le refus des frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir;
Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès:
Que des Turcs en cela l'on suivît la méthode !
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code :
Il ne faudrait point tant de frais;
Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs;
On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.
Jean de La Fontaine, Fable XXI, Livre I.


Le Cierge
C’est du séjour des Dieux que les Abeilles viennent.
Les premières, dit-on, s’en allèrent loger
Au mont Hymette, et se gorger
Des trésors qu’en ce lieu les zéphirs entretiennent.
Quand on eut des palais de ces filles du Ciel
Enlevé l’ambroisie en leurs chambres enclose,
Ou, pour dire en Français la chose,
Après que les ruches sans miel
N’eurent plus que la Cire, on fit mainte bougie ;
Maint Cierge aussi fut façonné.
Un d’eux voyant la terre en brique au feu durcie
Vaincre l’effort des ans, il eut la même envie ;
Et, nouvel Empédocle aux flammes condamné,
Par sa propre et pure folie,
Il se lança dedans. Ce fut mal raisonné ;
Ce Cierge ne savait grain de Philosophie.
Tout en tout est divers : ôtez-vous de l’esprit
Qu’aucun être ait été composé sur le vôtre.
L’Empédocle de Cire au brasier se fondit :
Il n’était pas plus fou que l’autre.
Jean de La Fontaine — Fables
Livre IX • Fable 12

Le manteau impérial
Oh! Vous, dont le travail est joie,
Vous qui n'avez pas d'autre proie
Que les parfums, souffles du ciel,
Vous qui fuyez quand vient décembre,
Vous qui dérobez aux fleurs l'ambre
Pour donner aux hommes le miel,
Chastes buveuses de rosée,
Qui, pareilles à l'épousée,
Visitez le lys du coteau,
O sœurs des corolles vermeilles,
Filles de la lumière, abeilles,
Envolez-vous de ce manteau!

Ruez-vous sur l'homme, guerrières!
O généreuses ouvrières,
Vous le devoir, vous la vertu
Ailes d'or et flèches de flamme,
Tourbillonnez sur cet infâme!
Dites-lui : ''Pour qui nous prends-tu?''
''Maudit ! nous sommes les abeilles
Des chalets ombragés de treilles
Notre ruche orne le fronton;
Nous volons dans l'azur écloses
Sur la bouche ouverte des roses
Et sur les lèvres de Platon.
''Ce qui sort de la fange y rentre,
Va trouver Tibère en son antre
Et Charles IX sur son balcon.
Va ! Sur ta pourpre il faut que l'on mette
Non les abeilles de l'Hymette,
Mais l'essaim noir de Mountfacon!''
Et percez-le toutes ensembles
Faites honte au peuple qui tremble,
Aveuglez l'immonde trompeur,
Acharnez-vous sur lui, farouches,
Et qu'il soit chassé par les mouches
Puisque les hommes en ont peur!
VICTOR HUGO